Loïc Gauthier a 57 ans. Ingénieur de formation, il a beaucoup travaillé à l’étranger dans des fonctions diverses. À 37 ans, il revient en Seine-et-Marne pour s’y installer et fonder sa famille à Ozoir-la-Ferrière. À l’époque, il travaille pour l’entreprise Secme/EAO en tant que directeur de production, puis en prend la direction générale. Lorsque le groupe Suisse actionnaire principal lui demande de tout fermer en 2008, Loïc décide de racheter l’entreprise sur un coup de bluff. Audrey Marques s’est rapidement positionnée pour rejoindre l’aventure alors que cela faisait tout juste neuf mois qu’elle avait pris la direction financière de l’entreprise. Avec une maîtrise de finance des marchés, un DEA en finance des entreprises, trois années dans l’audit financier et une expérience en PME, Audrey avait à coeur de connaître ce qu’il y a derrière les chiffres : les Hommes et les opérations.
Leur rencontre a été évidente pour former le binôme qu’ils sont aujourd’hui. Il leur a fallu 18 mois pour repenser le projet. Avec le rachat de Secme fin 2010 à la sortie de la crise des subprimes, ils ont réussi à repartir d’une feuille blanche et relancer l’activité de l’entreprise -à présent appelée EOZ. Ils ont remboursé les banques en quatre ans et demi au lieu de sept pour un emprunt de 900 000 euros, et sont aujourd’hui une des entreprises les plus fiables en France. En 2020, EOZ a fêté ses 20 ans, et ces deux entrepreneurs industriels ont accepté de partager leur vision.
Vos débuts avec EOZ sont impressionnants, qu’avez-vous retenu de cette expérience ?
Audrey : Nous avons quitté un groupe qui avait une force financière, alors que nous non. Pendant cinq ans, nous avons sécurisé l’entreprise en fonctionnant sur notre propre rentabilité. En France, on a perdu l’habitude puisqu’on est beaucoup dans le tertiaire, mais dans l’industrie, il y a une constitution de stock, une constitution de production et une transformation du produit à prévoir en avance de trésorerie. On engage beaucoup de fonds pour pouvoir arriver à commencer à fonctionner. Nous avons appris à être prudent, à anticiper et à être agile. Le courage, ce n’est pas l’absence de peur, c’est plutôt la prise en compte de tous les risques, et y aller quand même. Avec Loïc, nous sommes dans la gestion et l’anticipation des risques. Si aujourd’hui avec la crise sanitaire, nous sommes encore là, c’est parce qu’on a été prudent depuis dix ans.
Loïc : Nous sommes fiers d’avoir pu redresser la barre dans une telle situation, et avec une entreprise industrielle qui plus est ! La libérer une première fois de la tutelle d’un groupe étranger, développer l’ « organique » pour nous mener aujourd’hui dans de nouveaux locaux à « Paris-Villaroche », c’est gratifiant.
Vous parlez d’ « organique ». Pour ceux qui vous connaissent déjà, ils savent que c’est votre marque de fabrique, mais expliquez-nous.
Loïc : Nous avons un fonctionnement bicéphal. Pas de répartition ou de domaine de prédilection. Dans notre entreprise, chacun est responsable de tous les autres sous sa propre compétence. On ne parle pas de hiérarchie, on parle de processus.
Audrey : Loïc va naturellement avoir un oeil sur le processus commercial. Mais il y a aussi un processus technique d’industrialisation, un processus d’achat, logistique et production, puis un processus finance, gestion RH que je regarde d’un peu plus près. Nous avons donc quatre pôles de décision et ces quatre processus fonctionnent en interaction. Il n’y a plus d’organigramme, mais un organigraphe que l’équipe a pensé elle-même. La production est au centre, et la direction sur le côté. Beaucoup parle d’entreprises libérées et libérantes… de notre côté, on parle plutôt d’entreprise organique. Chaque organe est important. Le compétent décide et la hiérarchie autorise. L’entreprise doit être un tout pour être mieux maîtrisée.
Loïc : Et l’avantage de fonctionner à deux, c’est d’avoir un meilleur équilibre de vie. Nous fonctionnons ainsi depuis plus de douze ans maintenant. Notre façon d’entreprendre est ce qu’on appelle l’effectuation et nous croyons au design du travail. Nous travaillons sur la responsabilisation des équipes et l’autonomisation du travail. Aujourd’hui tout ce fonctionnement est théorisé, notamment par la chaire de l’industrie de Mines-Paris Tech. Je recommande d’ailleurs l’ouvrage Organisation et compétences dans l’usine du futur, vers un design du travail ? de François Pellerin et Marie-Laure Cahier pour tous ceux que ça intéresse. Il y a également Pour un design du travail – Synthèse de l’ouvrage précédent par La Fabrique de L’industrie – CHAIR FIT de Mines Paris Tech.
Est-ce que cela vous a aidé à gérer la crise du Covid-19 ?
Audrey : Oui tout à fait. Si on avait écouté nos deux extrêmes, l’un aurait fermé l’entreprise, l’autre aurait maintenu l’activité. Mais la discussion posée avec deux têtes nous a permis de trouver la bonne décision. Être en binôme à la tête d’une entreprise c’est très utile. À deux, on se conforte dans la décision la plus juste. Nous n’avons jamais fermé. Nous avons mis en place le protocole sanitaire dès le 16 mars avec masques et visières. L’équipe s’est organisée en télétravail en deux heures alors que rien n’était là pour pouvoir le faire à l’origine. Pour ceux qui se déplaçaient en transport en commun, un covoiturage s’est organisé. On en revient à notre entreprise organique et autonome, donc tout c’est fait naturellement.
Loïc : Oui il n’y a eu aucun chômage partiel. C’était possible techniquement : nos nouveaux locaux le permettaient. Ce fut également possible psychologiquement : notre agilité d’entreprise l’a favorisé. Une liaison constante avec les télétravailleurs et collective a facilité le fonctionnement. Des télétravailleurs sont venus assister nos collaboratrices de production. Audrey a fabriqué des pièces en production pendant une semaine, je me suis chargé dans le même temps des expéditions. Aucun de nos clients n’a eu à souffrir de retard. Nous avons intensément travaillé durant cette période et nous avons aussi pris le temps de développer une stratégie de rebond : développement d’un clavier germicide tueur de covid qui fait l’objet d’un dispositif PM’up covid-19, Projet « DREC » de cobotique, des applications nouvelles d’internet des objets… voilà ce qui est dans les tiroirs pour l’instant.
Votre actualité pendant cette période n’a pas été en reste.
Loïc : Oui pendant la Covid-19, EOZ a obtenu le trophée « Vitrines Industrie du Futur » pour notre projet d’entreprise. C’est une certification de l’AIF (Alliance Industrie du Futur) que Damien Marc de JPB System a aussi obtenu.
Audrey : En tant que fabricant français de claviers, composants et de solutions personnalisées d’interfaces homme machine de qualité, il a toujours été une nécessité d’intégrer des techniques évolutives qui peuvent progresser et s’adapter aux besoins complexes de nos clients. De l’interrupteur miniature au bouton anti-vandale, du clavier standard à la face avant intégrée, nous sommes toujours en recherche des solutions d’avenir.
Loïc : L’un de nos domaines d’activités stratégiques s’y consacre même totalement. Nous sommes réalisateurs d’idées pour le développement de projets spécifiques, pour des produits connectés en réponse à des cahiers des charges précis. Nous concevons des produits intégrant des solutions IoT (interconnexion entre l’internet et des objets), des produits mêlant interface homme machine (IHM) et écoconception, nous assurons pilotage de la production et la maîtrise de la donnée utile, nous développons l’intelligence collective par un management organique, et nos collaborations avec des start-ups ont été un véritable moteur dans le développement de l’activité pour renforcer le tissu local et régional.
Audrey : L’AIF a reconnu notre démarche centrée autour de l’Homme entrepreneur qui permet d’intégrer les nouvelles technologies au service du développement de notre positionnement marché en lien avec notre écosystème. de nouvelles valeurs client et une fidélisation en sont la preuve. Et sur 90 entreprises françaises en lice pour ce label, nous sommes fiers de l’avoir obtenu.
Loïc : Tout cela a été doublé par une formidable collaboration locale au sein de notre « French Fab 77 » avec Damien Marc. Il s’agit d’un groupe WhatsApp créé avec JPB pendant la pandémie afin que les chefs d’entreprise industrielle (aéronautique, métallurgie, etc) s’entraident concrètement et plus rapidement. Environ 70 entreprises sont présentes sur le groupe WhatsApp. Les dirigeants y échangent entre eux sur des questions très pragmatiques. Et sont en écoute uniquement, les organismes comme Seine-et-Marne Attractivité et la CCI qui n’interviennent que lorsqu’un problème concret peut être résolu par leur intermédiaire. Il n’y a pas d’objectif business ici. Maintenant, l’objectif est de donner une seconde vie à ce groupe, toujours dans une optique d’entraide sur des choses très concrètes, du partage d’expériences et de contacts pour aider à la prise de décision.
Vous avez également déménagé les locaux d’EOZ il y a peu ?
Audrey : Oui et il y avait une condition à ce déménagement : il fallait rester en Seine-et-Marne. Nous avons quitté Ozoir-la-Ferrière pour rejoindre Paris-Villaroche car les secteurs de Melun et Sénart se développent de plus en plus et ont une connexion économique importante.
Loïc : La Seine-et-Marne permet une proximité locale de chef d’entreprise de premier plan, un accès à l’international hors pair, et une qualité de vie accessible en comparaison avec le reste de l’Ile-de-France, c’est une terre de possibles. En ce sens, Paris-Villaroche nous est apparu comme une évidence de ces possibles avec sa connectivité excellente, sa sérénité inégalable et de grandes perspectives
Audrey : Et quand l’industrie est reconnue comme une belle entreprise, que l’on respecte sa technicité et qu’on nous accueille avec les bras ouverts comme Paris-Villaroche l’a fait, on signe tout de suite ! Nous sommes très fiers d’avoir réussi à construire une usine en France, au 21e siècle et en six mois. Le bâtiment a d’ailleurs été conçu en trois mois par les équipes avec deux défis : mettre la production au centre et respecter le budget. Paris tenus, avec en bonus une pièce proposée par les équipes à Loïc pour qu’il puisse faire la sieste, et une salle de sport pour l’ensemble de l’entreprise.
Puisque vous êtes clairement attachés au département, que vous inspire la nouvelle marque du territoire « Seine-et-Marne Vivre en Grand » ?
Loïc : Cette accroche correspond à ce dont je parlais plus tôt, mais aussi à une réalité : le 77 (au passage c’est deux fois 7 deux fois la chance) c’est la moitié du territoire d’Ile-de-France. Quand des possibles s’ouvrent c’est forcément en grand. C’est aussi une invitation… À vivre sur une des meilleures terres du monde qu’on a la chance d’avoir (naturelle, nourricière et préservée). À étudier en Seine-et-Marne : mes deux filles sont dans le supérieur. Et évidemment, à entreprendre différemment : EOZ est à quatre minutes de ma maison.
Audrey : J’ai grandi en Seine-et-Marne et en suis amoureuse, donc je suis ravie. C’est aussi enfin la reconnaissance d’un département qui le vaut, qui a longtemps été sous-estimé. Nous ne sommes ni parisien, ni provincial, mais nous avons tout et c’est notre force.
Quel « possible » voudriez-vous voir se développer en Seine-et-Marne ?
Loïc : Pouvoir dire que la Seine-et-Marne est le 1er département français pour l’industrie du futur. Nous sommes déjà 4 de Seine-et-Marne sur les 91 certifiés au niveau national. Trouvons des entreprises seine-et-marnaises pour les amener au niveau des standards de l’AIF. Aujourd’hui, on a oublié que l’industrie française peut aller vite et peut répondre à des problématiques qui sont exportées depuis des années. Nous savons définir des besoins, identifier des risques et mettre en place la production. Il s’agit d’une industrie à forte valeur ajoutée avec des compétences qualifiées. C’est ce qu’on fait et la Seine-et-Marne serait un excellent berceau pour ça.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient monter leur entreprise ?
Loïc : Avec Audrey, nous avons accompagné au sein du Réseau Entreprendre des jeunes à la création d’entreprise avec quelques belles réussites et deux ou trois échecs. Fort de cette expérience, je dirai que l’impératrice toute-puissance de la création d’entreprise, c’est la réalité. Que personne ne peut y déroger, que pour la convaincre de vous sourire ; c’est le travail. Rien ne marche sans un enthousiasme au-delà du réel.
Audrey : Je suis aussi marraine de mini-entreprises car selon moi, le lien entre le monde de l’entreprise et l’éducation nationale est primordial, surtout dans notre société actuelle où la culture de l’entreprenariat est de plus en plus jeune. L’avantage de la génération qui arrive : Ils sont remplis de créativité et bourrés d’idées. Tout est possible pour eux. Mais ils manquent souvent de préparation. Il faut savoir s’entourer, se préparer et beaucoup travailler. J’ai en tête cette phrase de Louis Pasteur : La chance sourit aux esprits préparés.
Loïc : Et j’ajouterais… “Le génie est fait de un pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration.” (selon Thomas Alva Edison)
Audrey : Derrière ces phrases qui nous inspirent, on retrouve les trois valeurs qui se sont imposées d’elles-mêmes à l’entreprise grâce à notre expérience à EOZ : courage, optimisme et maîtrise. Nous n’en serions pas là sans ça.
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