Portrait : Valérie et la marqueterie de paille

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10Mars. 21
Lu en 12 min.
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Nemours

La Seine-et-Marne est un vivier parfois méconnu d’artisans d’art. Pourtant, de nombreux talents et savoir-faire sont installés sur le territoire. Alors pour cette « semaine » des droits de la femme, l’office de tourisme du Pays de Nemours nous a conseillé d’échanger avec Valérie Colas des Francs, artisan d’art en marqueterie de paille, une spécialité rare et d’une finesse inégalée… On vous emmène à la découverte de cette femme pleine d’humilité et de douceur… Une « slow artiste » comme on les adore et qui nous a parlé à cœur ouvert.

Valérie Colas des Francs a un parcours loin d’être de tout repos. Elle s’orientait d’abord vers l’éducation spécialisée avant de tout abandonner. Elle est passée de la Lorraine à la capitale où elle a fait une reconversion dans la communication et le marketing. Elle y a vécu une vie de bureau et a rencontré son mari… « J’y ai vraiment rencontré l’amour », nous confie-t-elle.

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Un premier enfant… qui se révèle être des jumeaux, Valérie prend un congé parental et en profite pour se recentrer sur ce qui ne l’avait jamais vraiment quitté : les activités artistiques. Elle nous raconte avoir besoin de travailler avec ses mains. Des activités qu’elle a toujours faites dans sa vie privée, et qu’elle était prête à emmener dans sa vie professionnelle. Ces trois ans de pause lui ont permis de se concentrer sur son projet… de se former d’abord seule, en autodidacte, puis de démissionner pour pouvoir suivre une formation appliquée aux métiers d’art pendant un an. Entre temps, Valérie et sa famille ont quitté Fontainebleau pour s’installer à Nemours afin d’avoir plus d’espace. Et ils y sont restés. La ville à taille humaine est parfaite pour tout vivre à pied. Que ce soit pour aller au cinéma, au restaurant, pratiquer des activités culturelles et sportives… Il n’y avait que Valérie qui prenait les transports en commun pour rejoindre Paris, sa formation et l’atelier de sa « mentor ».

A l’issue de cette formation, Valérie pensait travailler dans le vitrail… La matière et la lumière composant l’essence même de son attrait pour l’artisanat. Mais l’impatience est son premier frein. Elle qui aimait les rushes, travailler sous pression… Elle comprit rapidement que les métiers d’art demandaient du temps, et du temps tout le temps. « C‘est à dire qu’il fallait prendre du temps, prendre son temps, être lent. »

Elle n’était plus du tout sûre de pouvoir assumer cette transition.

Au moment où il fallut trouver un stage de trois mois chez un professionnel, elle choisit la marqueterie de paille. « Parce que si j’arrivais à faire 2 cm2 par jour, c’est que je pouvais changer de métier. »

Et c’est aux côtés de Lison de Caunes, grande prêtresse de la marqueterie de paille que tout a commencé. D’abord avec ce stage de trois mois, puis pendant trois ans où Valérie a été l’élève de ce maître d’art réputé.

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« Je suis tombée amoureuse de la paille, sa matière et de la lumière de la paille. Vous allez me dire la paille, ce n’est pas pareil que le verre. Mais ce qui est intéressant dans la paille, c’est la silice. La paille en est riche. La silice, c’est le verre qui sert à faire le verre, c’est la brillance. La seule différence ici : la lumière ne s’infiltre pas au travers du verre, mais est reflétée par la paille. »

Pour Valérie, il faut le voir « en vrai » pour le croire. Il y a une lumière tout à fait propre à cette matière. Aucun industriel… rien d’autre ne peut reproduire la lumière que renvoie la paille. Une de ses dernières créations en est la preuve : le bustier est bleu, mais en fonction de la lumière, il se nuance en gris ou en vert. C’est un peu comme un organza. Il y a la trame et le fil, comme s’il s’agissait de deux couleurs différentes alors que ça change uniquement avec la lumière.

Au départ, Valérie avait imaginé ouvrir son atelier en province, plutôt du côté de la Normandie où elle souhaitait pouvoir contribuer à la saison touristique. Le local dans la cour du château de Nemours où son atelier se situe aujourd’hui a vraiment été une opportunité. A l’origine, c’était une librairie de 100 m2… trop grande pour Valérie. Mais son projet intéressa l’ancien propriétaire qui lui proposa de dresser un mur là où elle le souhaitait. « Du coup, on a mis les murs là où j’avais les moyens ». Un projet sur mesure a ainsi vu le jour ! Petites et grandes pièces de marqueterie de paille sont alors créées ici.

Mais un défi majeur réside à Nemours car le tourisme nécessaire à son activité est plus discret ici. Valérie s’adonne alors beaucoup aux travaux d’exposition pour atteindre les architectes et décorateurs.

« Je n’ai pas la fibre commerciale et démarcher des galeries se révèle compliqué. »

Pour Valérie, son activité n’est pas mauvaise, mais elle est loin d’être satisfaisante. Elle ne se dégage pas de salaire, mais elle s’auto-finance. Tout ce qu’elle gagne est immédiatement réinvestit dans son activité. C’est ce qui lui donne toute la liberté pour oser et innover.

La marqueterie de paille est un budget en soi. Ça sous-entend qu’il faut un support pour donner vie à ses créations. Mais Valérie adore ça car ça lui permet de travailler avec d’autres artisans du coin.

Son processus créatif

Pour la petite bijouterie et les accessoires de mode, une fois que le support pour les réaliser est trouvé, elle improvise côté formes, couleurs de paille et motifs. Valérie prend très peu de photos de son travail et préfère rester en pièces uniques. Chaque création est différente et aucune ne se ressemble. Excepté lorsque c’est une commande précise d’architecte où elle reproduira en petite série.

D’une manière générale, la marqueteuse réalise d’abord un dessin, puis voit avec un confrère artisan si c’est réalisable. Elle peut travailler avec des ébénistes, des bronziers d’art ferronniers et bien d‘autres. Tout dépend du projet et du support : un travail sur mesure pour chaque pièce.

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Sa paille, elle la trouve en Bourgogne auprès de Jean-Luc Rodot. Et il ne s’agit pas de paille des champs. Valérie utilise la paille de seigle cultivée à l’ancienne. Le seigle pousse très haut (jusqu’à 2,50 mètres de hauteur). Il doit ensuite être fauché à la main, laisser les longues tiges sécher en champ, et ensuite, les couper une à une avant de les teindre. Jean-Luc fournit la paille essentiellement pour les toits de chaume et pour les rempailleurs de chaise. Sa paille n’est jamais utilisée pour le grain. C’est un savoir-faire ancestral français installé depuis longtemps dans leur famille. Même pour les teintures, Jean-Luc expliquait à Valérie qu’il ne pouvait pas teindre les jours où le vent du Nord souffle, sinon la paille moisie. Ce genre d’attention et d’histoire dissimulées qui inspirent aussi Valérie dans son travail.

Même s’il a été difficile de se créer un réseau d’artisans à ses débuts, aujourd’hui Valérie collabore également avec de nombreux jeunes artisans de Seine-et-Marne et d’un peu plus loin, comme :

  • Yannick Székany de l’atelier Ysze, bronzier d’art à Thomery
  • Jordan Da Fonte, chaudronnier d’art à Thomery
  • Jean-Louis Quignaux, marbrier à Grez-sur-Loing (sa femme et son fils qui ont repris l’atelier)
  • Pierre Leloup, ébéniste à Ferrières-en-Gâtinais

Valérie nous avoue qu’elle aurait rêvé qu’il y ait un lieu dans le château de Fontainebleau pour accueillir les artisans du coin. « On a besoin de vivre en local. » Alors à la place, elle n’hésite pas à ouvrir son atelier à Nemours pour donner des cours, et se déplace même à Paris.

Ses inspirations

La nature et avec la forêt de Nemours et de Fontainebleau, Valérie mesure sa chance. La présence de l’eau et des différents végétaux sont aussi une source inépuisable d’inspiration. La musique accompagne également Valérie dans ses moments où elle innove. Les années Arts déco influencent aussi ses créations.

Sa dernière grande innovation

Le bustier bleu. Modeler la paille pour en faire un objet, un vrai vêtement qui est portable. Il ne s’agissait pas d’une commande mais Valérie avait été invitée à participer à « Maisons d’exceptions » lors du salon Première Vision. 30 à 40 artisans du monde entier y présentent des œuvres particulières applicables au textile. Valérie a réalisé 6 bustes pour cet événement international. Le bustier n’aurait pas pu se faire sans Alexandra Civit, une couturière seine-et-marnaise (Souppes-sur-Loing) exposée à Maisons d’exceptions. « Ensemble, nous avons réalisé un patronage en papier, réfléchi au coffrage des feuilles, et le projet a évolué petit à petit. C’est un travail à quatre mains ».

Cela fait également quatre ans qu’elle travaille la paille en relief, la paille en gaufrage, ainsi que la paille en creux, notamment en vue d’une exposition d’œuvres pour la biennale « Matière d’art » au Palais Iéna organisée par AD magazine, leader dans le monde de l’architecture et du design. Mais Valérie garde le mystère sur les détails innovants de ses créations et attend avec impatience de pouvoir les présenter. « J’ai la prétention de dire en tout cas, que c’est un travail, comme moi, je ne l’ai jamais vu et qui ne s’est jamais fait… »

Son art face à la crise

L’année dernière, toutes les expositions ont été annulées alors que c’est dans ces moments-là qu’elle peut rencontrer les architectes qui lui passeront commande. Elle devait se rendre au Japon et avait préparé près de 400 pièces, qui sont évidemment en stock pour l’instant. « Peut-être l’année prochaine, on verra ! »

Cette année, en plus de « Matière d’art », Valérie participera normalement à « Révélation », qui est la seule biennale des métiers d’art en France de dimension internationale (organisée au Grand Palais éphémère en juin). Mais il y a encore beaucoup d’incertitude face à ces événements qui doivent lui assurer de la visibilité. Et cette période a beaucoup impacté la créativité de Valérie. Elle nous a confié qu’elle avait recommencé à lire à nouveau il y a seulement un mois.

« J’ai eu beaucoup de mal à finir ce que je devais faire parce que je perdais le fil. J’étais dans un « A quoi bon ? » J’ai éprouvé un certain désespoir »

C’est peut-être l’esprit sensible de Valérie qui a été chahuté ces derniers mois, mais lorsqu’elle regarde un peu plus loin, c’est le manque de contact avec le public qui a été le plus compliqué pour avancer. « J’ai absolument besoin de voir l’accueil qui est réservé à mes dernières créations. J’ai besoin de voir si ça a du sens ou pas. J’ai besoin de comprendre aussi si je me trompe. »

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Retour à la créativité

C’est certainement lié à l’arrivée du printemps que Valérie réussit à retrouver sa passion. Dans son travail, deux choses l’attirent plus que tout : la lumière et la fraîcheur.

A ses débuts aux côtés de Lison de Caunes, Valérie ne travaillait quasiment uniquement qu’en restauration d’objets et de mobiliers anciens. Selon elle, c’est ce qui lui a permis d’évoluer, de faire évoluer la paille et de l’emmener dans des secteurs où on ne l’attend pas.

« Les anciens artisans avaient quelque part déjà tout fait avant nous. Donc après c’est à nous de transgresser un peu et aller au-delà. Au 18ème et 19ème siècle, les gens avaient toujours un objet d’usage dans la poche. Une boîte de tabac, un étui à lunettes, une boîte à poudre… C’était un objet, une matière qui vivait avec les gens. C’est pour ça que j’ai pu basculer assez facilement vers ce que je fais aujourd’hui. Avec les objets anciens, ce qui est très joli, c’est lorsque vous ouvrez un tiroir, une boîte… après des années bien cachés : on retrouve les couleurs d’origine. Dans la mesure où l’objet est protégé, il va vraiment conserver la couleur d’origine et la brillance de la paille. La plupart de ces objets sont d’une belle naïveté et sont d’un raffinement inouï. C’est comme une boîte à trésors trouvé dans un grenier… Un peu sombre et poussiéreuse, mais quand on l’ouvre, on est projeté dans une scène de chasse ou au milieu des fleurs. C’est fascinant et ravissant. »

La marqueterie de paille et les femmes

Ces dernières années, la marqueterie de paille est vraiment très en vogue. Il y a beaucoup de gens qui se mettent à la paille. Il y a clairement beaucoup de femmes mais aussi beaucoup d’hommes. La vie d’artisan à son compte est loin d’être facile et demande une énergie folle. Mais Valérie n’a pas expérimenté de difficulté particulière en tant que femme. Simplement qu’on dort souvent avec son entreprise et que c’est un exercice d’équilibriste que de jongler avec sa vie de famille.

Aujourd’hui, elle nous confie tout de même que physiquement, elle ne serait plus tout aussi prête à faire de gros chantiers et à déplacer 30 ou 40 kilos de matériaux.

Mais dans son parcours de reconvertie, Valérie préfère souligner une chose : « Il faut qu’il y ait une personne en plus de vous qui croit. Et mon mari a été très bien pour ça et il m’a toujours soutenue. J’ai une part d’insouciance ou d’inconscience, je ne sais pas… Mais c’est nécessaire à mon activité, sinon je n’oserai pas créer. Je serais peut-être plus stratège et je ferais que des produits qui marchent. Peut-être que je gagnerais mieux ma vie. Mais je ne regrette rien. »

Elle se l’était promis à ses 50 ans : arrêter les 3h30 de transport par jour et devenir boulangère en Ecosse ou ouvrir son atelier. Elle avait besoin qu’il se passe quelque chose et elle a fait le bon choix.

Sa fierté

« J’ai ma petite prétention, parce que j’ai emmené la paille dans la bijouterie et l’accessoire (ce qui ne se faisait pas avant). Mais je ne peux pas porter plus que mes épaules. »

Son défi

Les visiteurs à l’atelier ou lors d’expositions ne comprennent pas totalement ce qu’ils voient. « Ils disent « oui c’est de la paille », puis à la fin, une personne sur dix me demande : « Donc c’est quoi exactement ? C’est du raphia ? C’est fabriqué où ? » ». Il y a une incompréhension entre la matière et l’objet fini. Et c’est ce qui l’amuse presque le plus à chaque fois.

Pour terminer notre entretien, on a demandé à demander à Valérie ce qu’elle aurait aimé qu’on lui donne comme conseils à ses débuts en tant que femme dans l’artisanat, et voici sa réponse… On vous laisse sur cette douceur qui semble la caractériser :

« J’aurais aimé qu’on m’apprenne un peu plus à prendre mon temps, à regarder, à toucher, à respirer, à sentir, et aussi à essayer d’entendre ce que mon corps répond. »

Entre nous… Vous ne trouvez pas que ce métier rare où la douceur de Valérie lui permet de créer des objets d’arts raffinés était fait pour elle ?

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